mardi 4 juin 2013

Yellow Birds, de Kevin Powers : le traumatisme de la guerre en Irak

[Stock, 2013]

Je n’ai pas pour habitude de vous présenter des romans évoquant la guerre, mais je me suis pourtant laissée tenter par « Yellow Birds » de Kevin Powers, un américain revenu de la guerre d’Irak, pas tout à fait indemne psychologiquement, et qui a écrit un roman sur ce conflit et son impact sur les soldats.

Résumé

John Bartle, 21 ans, qui ne savait pas bien quoi faire de sa vie, s’est engagé volontairement en Irak. Au camp d’entraînement, il a rencontré Daniel Murphy, âgé de tout juste 18 ans, et ils sont devenus proches. A la veille de leur départ, il a fait une promesse malheureuse à la mère de Murphy, celle de lui ramener son fils vivant. Une promesse qu’il ne parviendra pas à tenir. Partant de ce fait, nous voyageons dans les souvenirs de John, tantôt durant le conflit, tantôt avant, tantôt après, revenu au pays.

Le traumatisme des soldats

Davantage qu’un roman de guerre, l’auteur nous livre ici une introspection d’un soldat revenu de l’enfer. Il évoque les sentiments ambigus des soldats qui sont rentrés, leur joie d’être en vie et l’envie de profiter de la vie, mêlée à une profonde culpabilité vis-à-vis de ceux qui n’ont pas pu revenir, mais aussi de ceux qu’ils ont tués lors du conflit. Dans le roman, John Bartle souffre d’être traité en héros pour des faits dont il n’est pas absolument pas fier. Il a l’impression d’avoir renié toutes les valeurs que sa mère lui a inculquées, et d’être remercié pour cela. D’où le malaise, que l’auteur a bien su faire ressentir aux lecteurs.

Mieux connaître la guerre d’Irak

Même si les combats n’occupent pas la majeure partie du roman, l’auteur nous immerge le temps de quelques chapitres en Irak dont il nous livre les couleurs, la chaleur écrasante, la menace permanente de la guérilla. Il nous permet de saisir un peu mieux la réalité de ce conflit. Sa vanité également, puisque l’histoire nous montre que les soldats n’ont pas grande influence sur ce territoire qui leur résiste encore et toujours. Cette histoire nous permet de prendre conscience que la guerre d’Irak a été une véritable guerre, avec toute sa violence et sa cruauté, quelle que soit la manière dont elle a pu être présentée.

Les personnages

C’est un roman très masculin, puisque les trois principaux personnages développés sont des soldats. Tout d’abord John Bartle, le narrateur, qui nous livre ses pensées et nous reste pourtant inconnu. Nous partageons un bout de chemin avec lui, mais sans rien savoir de son passé et de ses rêves, abolis par la guerre. Daniel Murphy a été son plus proche camarade dans cette guerre, mais nous nous rendons compte qu’il ne le connaissait pas vraiment. Il en est de même pour le lecteur, même si ce soldat qui perd pied est assez touchant. Enfin, il y a le sergent Sterling, brutal et dénué de pitié mais profondément convaincu qu’il mène un combat juste, que le narrateur voudrait haïr mais à qui il doit d’être resté en vie.

L’écriture

Le style est la bonne surprise de ce roman, puisqu’il est très agréable, assez sensible. Nous ne sommes pas seulement en présence d’un soldat qui a voulu raconter sa guerre, mais d’un véritable auteur. Les descriptions sont réussies et font vivre sous nos yeux la fournaise irakienne et les patrouilles. Il restitue la violence des combats sans en faire trop, d’une manière qui sonne juste.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un roman sensible et bien écrit qui nous ouvre les yeux sur la réalité de la guerre d’Irak, sur sa vanité, et sur les soldats qu’elle aura brisés tout autant que les victimes de la guerre. Difficile de blâmer ces hommes qui étaient persuadés de défendre une juste cause et qui, pour certains, ne s’en remettront jamais. Une lecture intéressante et instructive que je vous recommande si vous voulez en savoir un peu plus sur la guerre d’Irak.

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie du challenge :


Où sont les hommes ? : lecture n°48

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« Il semble absurde à présent que nous ayons pu voir en chacune de ces morts une affirmation de nos propres vies. Que nous ayons pu croire que chaque mort appartenait à un temps donné et que par conséquent ce temps n’était pas le nôtre. Nous ne savions pas que la liste était infinie. Nous ne nous étions pas projetés au-delà de mille. Nous ne nous étions jamais dit que nous pourrions faire partie des morts-vivants. »

« Je haïssais la faculté avec laquelle il brillait dans la mort, la brutalité et la domination. Mais, plus que tout, je détestais qu’il fut nécessaire, je détestais avoir besoin de lui pour réagir alors même qu’on essayait de me tuer, et je détestais la lâcheté qui était la mienne jusqu’à ce qu’il me crie dans les oreilles, « Bute-moi ces enculés de Hadjis ! » Je détestais l’amour que je lui portais lorsque j’émergeais de la terreur et que je faisais feu à mon tour en le voyant tirer lui aussi, souriant tout du long, hurlant toute la haine de ces quelques hectares qui semblaient se concentrer et se répandre à travers lui. »

« Devrais-je plutôt leur dire que j’avais envie de mourir ; non pas que j’envisageais de me jeter de ce pont, mais je voulais m’endormir pour toujours car il n’y avait aucune excuse pour tuer des femmes, ou même regarder des femmes se faire tuer, ou tuer des hommes pour les mêmes raisons, leur tirer dans le dos, leur tirer dessus plus de fois que nécessaire afin de s’assurer de les avoir vraiment tués ; c’était comme si tu cherchais à tuer tout ce que tu voyais parfois parce que ton âme était rongée par l’acide, puis elle s’envolait. Tu savais qu’il n’y avait aucune excuse pour faire ce que tu étais en train de faire, puisque c’est quelque chose que tu as appris toute ta vie, pourtant tu as continué, et à présent même ta mère est ravie et fière parce que tu as su visé, parce que grâce à toi des gens se sont écroulés pour ne jamais se relever, et ouais ils auraient pu te tuer aussi, donc tu te dis, Et alors ? »

2 commentaires:

  1. Ca a l'air d'être un livre très intéressant ! Je n'ai lu aucun livre sur la guerre d'Irak, celui-ci a l'air passionnant, je le retiens :-)
    merci pour cette chronique !

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    Réponses
    1. Oui, c'est un sujet qui a encore été assez peu traité en littérature. Cela est d'autant plus intéressant que l'auteur a vraiment été soldat en Irak, il sait de quoi il parle. Et la plume est agréable. Enfin, bonne nouvelle, il est sorti en poche cette année :) Merci pour ton passage par ici!

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