samedi 6 septembre 2014

Contrecoups, de Nathan Filer : la schizophrénie, vue de l’intérieur

[Michel Lafon, 2014]

En ce début du mois de septembre, me voici avec un premier titre de la rentrée littéraire : « Contrecoups », premier roman de Nathan Filer. Cajou et son avis plus qu’enthousiaste m’avait donné très envie de le découvrir, aussi je n’ai pas hésité lorsqu’il m’a été possible de le recevoir de la part de l’éditeur !

Résumé

Matthew, 19 ans, est hanté par la voix de son grand frère, mort une dizaine d’années auparavant. Il est schizophrène, une maladie qui « ressemble à un serpent », qui lui fait perdre le fil du temps, qui brouille les frontières entre le rêve et la réalité. Pourtant, armé d’un ordinateur ou d’une machine à écrire, il s’efforce de reconstituer le puzzle, de relier son enfance marquée par le deuil à son présent nébuleux, à comprendre comment il en est arrivé là. Pourra-t-il se libérer de ce passé trop lourd ?

Un roman sensible

J’ai été touchée par ce roman très sensible qui nous fait vivre la schizophrénie de l’intérieur. Le ton est juste, il n’y a ni dramatisation ni angélisme rose bonbon, on est sur le fil, en équilibre parfait. La maladie de Matthew habite tout le roman, elle est omniprésente. Il nous fait partager le quotidien routinier d’un schizophrène, le traitement à l’hôpital de jour, les piqûres, les séjours en service psychiatriques lors des rechutes. Mais d’autres thèmes affleurent également, comme le handicap mental ou la restriction du service public en Angleterre.

Une narration maîtrisée

Matthew présente sa schizophrénie comme une maladie intelligente, qui apprend elle aussi de ses expériences. Elle brouille le fil du temps, le réel et l’imaginaire. Cela se ressent dans la construction du roman qui n’a rien de linéaire, on passe régulièrement de l’enfance de Matthew à son présent immédiat, puis à son adolescence, lorsque la maladie montre ses premiers signes. Pourtant, le lecteur n’est jamais perdu car la narration est impeccablement maîtrisée, ce qui est à saluer pour un premier roman. On assemble peu à peu les pièces du puzzle, les brides de souvenirs, les émotions, les obsessions, la répétition du quotidien.

Les personnages

Matthew est un personnage extrêmement attachant, parce qu’il se livre en toute sincérité. Il nous montre tout, de ses accès de colère et de violence, ses regrets, sa tendresse, ses peurs. Malgré la maladie il est lucide, il sait qu’il ne va pas guérir, qu’il va osciller toute sa vie entre la lutte contre sa maladie et son désir d’entendre la voix de son frère et de le retrouver. Il est entouré d’une famille qui fait tout ce qu’elle peut pour l’aider et notamment sa merveilleuse grand-mère, Nanny Noo. Sa mère est davantage sur le fil, elle a aussi ses propres démons. Enfin, même si on le connaît assez peu, on ne peut s’empêcher d’aimer Simon.

L’écriture

En ce qui concerne le style, il est très agréable, c’est un roman bien écrit et bien traduit, avec de belles métaphores et de petites illustrations bien choisies. On est dans la simplicité, Matthew s’exprime avec ses émotions, sans chercher l’effet de style. Ainsi la plume est adaptée au personnage et à son propos. Nathan Filer, qui a été infirmier psychiatrique pendant dix ans, a vraiment réussi à se mettre dans la peau de son personnage et à le faire parler. Très encourageant pour ce jeune auteur !

En quelques mots…

Ainsi, c’est un roman très bien mené et avec une belle sensibilité, qui nous fait vivre la schizophrénie de l'intérieur. De l'enfance à l'âge adulte, du deuil à la spirale de la maladie, de l'internement au suivi à domicile, Matt nous emmène dans son quotidien et retrace sa vie pour nous avec sincérité et simplicité. Une belle lecture que je vous conseille volontiers.
Un grand merci à Camille et aux éditions Michel Lafon pour cette découverte!

Note : 4/5

Stellabloggeuse
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« En phase de traitement lourd, je peux dormir jusqu’à dix-huit heures par jour. Pendant ces périodes-là, je m’intéresse beaucoup plus à mes rêves qu’à la réalité puisqu’ils prennent beaucoup plus de place qu’elle. Si je fais des rêves sympas, je me dis que la vie a du bon. Quand les médicaments ne marchent pas comme prévu – ou si je décide de ne pas les prendre –, je passe plus de temps éveillé. Mais alors mes rêves trouvent le moyen de me rattraper. On a tous en nous un mur qui sépare les rêves de la réalité, mais le mien est fissuré. En se tortillant, en se faisant tout petits, les rêves arrivent à passer au travers jusqu’à ce que je ne puisse plus faire la différence. »

« J’ai une maladie, une affection qui sonne comme un serpent et y ressemble. Chaque fois que j’apprends quelque chose de nouveau, elle l’apprend aussi. »

« Le pire, dans cette maladie, ce n’est pas ce qu’elle me fait croire ni ce qu’elle me fait faire. Ce n’est pas l’emprise qu’elle a sur moi, ni même l’emprise qu’elle autorise les autres à avoir. Le pire de tout, c’est qu’elle m’a rendu égoïste. La maladie mentale nous replie sur nous-mêmes. C’est mon avis. Elle fait de nous les prisonniers à vie de la douleur qui occupe nos têtes, tout comme la douleur d’une jambe brisée ou d’un pouce entaillé accapare l’attention et s’y cramponne au point que la jambe ou le pouce valides cessent d’exister. »

5 commentaires:

  1. Contente de lire ce billet positif sur Matthew et son histoire. Contente aussi de me rappeler Nanny Noo grâce à ce billet <3
    Des bisous !

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    1. Merci de m'avoir donné envie de le lire, j'ai passé un beau moment en compagnie de ces personnages :) Bisous!

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  2. J'ai adoré ce titre, très touchant !

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  3. c'est effectivement un très beau billet. Tu en parles très bien ! Contrecoups est vraiment une immersion dans la folie qui se fait avec empathie et une grande sensibilité.

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    1. Oui, empathie c'est bien le mot. J'ai vu en lisant ton billet que nos avis étaient assez proches, je suis contente que ce roman plaise :)

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