samedi 26 avril 2014

Nox, tome 2 : Ailleurs, d’Yves Grevet : suite et fin d’une série addictive

[Syros, 2013]

*Attention, il s’agit du second tome d’une saga, présence de spoilers sur le tome précédent*

Cela faisait longtemps que je voulais lire la suite de « Nox » d’Yves Grevet, une série d’anticipation composé de deux volets, dont j’avais beaucoup aimé le premier tome.

Résumé

Rien ne va plus pour les anciens amis de la Ville Basse. Maurce et Jea sont en fuite, Lucen condamné aux travaux forcés tandis que Firmie, enceinte, est à la merci de son logeur, le Furtif Dimitr. Quant à Gerges, il marche enfin dans les traces de son père et cherche à venger sa mère, mais il n’en retire pas de franche satisfaction… Pendant ce temps, dans la Ville Haute, Ludmilla se voit contrainte d’adopter un rôle d’agent double…

Dans les pas du premier tome…

J’ai beaucoup aimé la suite et fin donnée à cette saga, dans la lignée du premier tome. Nous avons toujours plusieurs points de vue présentés, auquel s’ajoute celui de Firmie, qui ne figurait pas dans le premier tome. Cela apporte différent regards sur l’histoire, et nous permet notamment de mesurer le décalage de mentalités entre la Ville Haute et la Ville Basse. En revanche, cela induit également un petit côté répétitif, qui pourrait en gêner certains.

Un univers dur et convaincant

L’univers créé par l’auteur pour cette histoire est vraiment impitoyable, le jeune lecteur n’est pas épargné (mais il n’y trouvera pas non plus de scènes pouvant heurter sa sensibilité). On ressent peut-être un peu moins la détresse des uns et des autres que dans le tome précédents, les personnages étant concentrés sur leur propre survie. Mais on éprouve toujours ce gouffre entre les riches et les pauvres, les plus démunis tombant bien bas sans que personne ne puisse leur tendre la main et n’hésitant pas à vendre leurs bébés.

Les personnages

Les personnages sont tous attachants. Lucen et Firmie ont désormais des responsabilités de parents et son très touchants dans leur relation avec leur bébé. Ludmilla a mûri et commencent à voir le monde différemment, mais elle se trouve pieds et poings liés. Quant à Gerges, c’est sans doute le plus complexe et le plus torturé de tous, pris entre ce qu’il est et ce qu’il pense devoir être.

L’écriture

J’ai de nouveau apprécié l’écriture de cet auteur, très agréable. Il parvient à se glisser dans la peau de chacun de ses personnages. Tout est bien dosé, les descriptions, les réflexions, les dialogues. Il maintient la tension tout au long du roman. Mission accomplie !

En quelques mots…

Ainsi, ce second et dernier tome de la série est à la hauteur de son prédécesseur et offre au lecteur un final digne de ce nom. L’univers m’a convaincue et les personnages ont suscité ma sympathie. C’est vraiment une lecture que je recommande aux jeunes amateurs de romans d’anticipation/dystopie, dès 13 ans, et aux moins jeunes !

Note : 4/5
Stellabloggeuse

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« Comme un père qui réprimande son gamin, il veut m’obliger à reconnaître toutes mes fautes, être sûr que je ne lui cache rien et que j’éprouve des remords. Son ton agressif m’énerve et je me retiens plusieurs fois de me lever et de le planter là avec ses certitudes et ses leçons de morale. Qui est-il pour me parler ainsi ? S’est-il retrouvé à la porte de chez ses parents, sans le sou, avec une femme enceinte à nourrir et à soigner ? A-t-il vécu ne serait-ce qu’une semaine sous la nox ? A-t-il déjà senti la mort l’envahir après un effort physique mal contrôlé ? »


« Sans perdre une minute, je me rends à l’embarcadère pour prendre un dirigeable. C’est pour moi une première. J’essaie de ne pas le montrer, mais je n’en mène pas large. Quand l’engin s’ébranle, je m’accroche à un cordage. Ses mouvements sont lents et bientôt j’oublie presque le danger pour me concentrer sur la beauté du spectacle. Cette mer de fumées, dont je connais pourtant l’odeur et les dangers, est si belle vue d’ici. Le soleil qui perce par moments les nuages illumine le ciel. Ces gens autour de moi ont-ils conscience du bonheur auquel ils ont droit chaque jour ? »

mardi 22 avril 2014

Arcadia L’Intégrale, de Fabrice Colin : complexe et envoûtant

[Bragelonne, 2014]

On continue avec Fabrice Colin ! Souvenez-vous, ces dernières semaines, je vous avais présenté Blue Jay Way, un polar au vitriol en plein LA, Passeurs de mort, un roman fantastique d’aventure destiné aux adolescents et Ta mort sera la mienne, un thriller haletant. Je vous rappelle également que Bookenstock consacre son mois d'avril à cet auteur, allez voir, c'est très intéressant. Aujourd’hui, je vous propose mon avis sur Arcadia, soit la réédition par Bragelonne de deux romans de jeunesse de l’auteur qui se suivent l’un et l’autre.

Résumé

A Londres, en 1872, dans le monde d’Arcadia, le quotidien est baigné de magie et les artistes sont au pouvoir. Le futur et la mort sont absents des mentalités. On s’apprête à couronner la reine, lorsque d’étranges présages surviennent. A Paris, en 2012, en Ternemonde, chacun se prépare à la fin du monde. 4 personnalités transcendent ces deux mondes et ont une mission : permettre leur réunification pour enrayer la Chute.

Un Ovni fantasy aux inspirations multiples

Il est difficile de parler de ce roman, j’ai déjà eu du mal à vous proposer un résumé ! A mon sens « Arcadia » est un OVNI, peut-être le roman le plus original que j’ai jamais lu. Il tient à la fois de la fantasy avec des mondes imaginaires, et du steampunk. Nous sommes en présence de deux mondes qui s’imbriquent, Arcadia et Ternemonde. Au cœur d’Arcadia, vous avez Camelot et les légendes arthuriennes. Le Pays des merveilles de Lewis Caroll est également impliqué. Les références artistiques, poétiques, historiques et littéraires fourmillent, formant un canevas qu’il n’est pas toujours aisé de démêler.

Aussi, pour apprécier pleinement « Arcadia », il faut accepter de ne pas tout comprendre, de ne pas tout maîtriser, et de se laisser porter par le cours des évènements, comme si nous étions l’un des personnages. Il faut simplement profiter de la richesse de ce monde, se régaler de l’écriture. N’attendez pas de ce roman une narration clairement défini. Comme le dit l’auteur dans une préface très intéressante, « Arcadia » est avant tout « une fenêtre ouverte sur un monde » où le rêve et la magie occupent une place cruciale. Profitez du voyage, et n’attachez pas vos ceintures !

Les personnages

Les personnages de ce roman sont très nombreux, et les artistes et auteurs de la seconde partie du XIXe siècle sont mis à l’honneur (mais pas seulement, puisque John Keats est aussi très présent). Néanmoins, la part belle est faite à 4 préraphaélites : le peintre Rossetti, sa muse Jane Burden, le mari de cette dernière William Morris, un maître des arts décoratifs, et le poète Swinburne. Ces personnalités s’incarnent à la fois sur Ternemonde et en Arcadia. Comme souvent avec les personnages de Fabrice Colin, ils ne sont pas particulièrement attachants, mais ce n’est pas très important. Ce qui importe ici, c’est véritablement l’univers proposé.

L’écriture

Si vous me suivez régulièrement, vous savez déjà que je suis une addicte du style de Fabrice Colin. Ce roman ne fait pas exception à la règle, bien au contraire, puisque je me suis tout simplement régalée à le lire. Souvent, je me suis surprise à relire plusieurs fois certaines phrases pour bien m’en imprégner. L’écriture participe à l’ambiance magique du roman et aide à nous plonger dans cet autre monde.

En quelques mots…

Ainsi, Arcadia est un OVNI fantasy/steampunk qui a su m’embarquer. C’est un roman complexe et exigeant, qui se lit doucement, à petite dose, en faisant fonctionner son cerveau et son imagination. C’est un livre qui se déguste, qui vous régale par son imagination et ses multiples références. C’est une fenêtre ouverte sur un monde, et un hommage aux artistes de tous genres, à l’immortalité de certaines œuvres : « Ils n’arrêteront d’être vrais que lorsque vous cesserez d’être fous ».

Note : 4,5/5
Stellabloggeuse

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« Les médias, les entreprises, le sport, les travailleurs, les forces de l’ordre, les services, les hôpitaux, les enseignants, les enseignés, tout ce qui formait l’ossature de la société a disparu. Ce qui nous reste ? Une poignée de survivants incapables de comprendre ce qu’ils font là, incapables de savoir s’ils ont été choisis, sélectionnés, élus par quelque chose ou par quelqu’un, ou si tout n’a été en définitive que le fruit du plus complet hasard. »

« Partout, l’impossible trouve à paraître : dans ces places submergées, saturées d’abandon et d’oubli, où l’eau vient s’enrouler en tourbillons de mercure, dans ces musées voués au dieu silence où les toiles s’effacent et coulent le long des murs, dans ces églises noyées de ténèbres où des Christ aux paupières tressautantes s’abîment entre les travées noires où flottent les débris de la croix, dans ces esquifs pour refuges et berceaux où des nouveau-nés regardent les rêves défunts de leurs parents plus morts encore s’inscrire au plafond arabesques troubles, dans ces baignoires trop pâles où le sang de la langueur bouillonne et envahit l’entière et pleine demeure, dans ces livres flottant ouverts où les mots, détachés, frissonnent et permutent pour écrire des histoires d’une impassible cruauté […] »

« Lethe ! Serpent d’eau sombre à la peau bleutée, gorgé de souvenirs et de rêves, où viennent à la nuit tombée s’abreuver les âmes de Ternemonde… Un soir, elles y restent à jamais. Ce soir-là s’appelle la mort. »

samedi 19 avril 2014

Le miroir brisé, de Jonathan Coe : Et si les rêves avaient le pouvoir de changer le monde ?


Me revoilà avec un titre de mon très cher Jonathan Coe, dont j’ai récemment apprécié le jouissif « Expo 58 ». Ce titre, paru en 2014, est le premier à être publié dans une collection dédiée à la jeunesse, bien que l’auteur estime qu’il s’adresse à tous les publics. Ma copinaute Quel Bookan, qui partage mon amour de Coe, me l’a gentiment prêté et je n’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir dans la semaine qui a suivi !

Résumé

Alors qu’elle s’introduit dans la décharge qui se trouve non loin de chez elle, la jeune Claire trouve un étrange fragment de miroir en forme d’étoile. Lorsqu’elle regarde dans ce miroir, elle entrevoit un monde plus beau. A-t-il sa volonté propre, ou est-il nourri de son imaginaire, de ses rêves d’un monde meilleur ?

Un conte moderne

L’auteur nous offre ici un véritable conte moderne. Au centre, un élément magique, le fragment de miroir. On y retrouve des « classiques » du conte, notamment des personnages de « méchants », et des épreuves traversées par Claire au fil des années. Et pourtant, le récit est fortement ancré dans notre réalité. Jonathan Coe en profite pour aborder certains problèmes sociaux de l’Angleterre (comme s’il pouvait s’en empêcher !) : la fermeture des services publics, notamment les hôpitaux et bibliothèques, la facilité avec laquelle certains perdent tout et se retrouvent dans la rue, la puissance des plus riches…

Une ambiance onirique

Une belle ambiance onirique imprègne tout le conte, renforcée par les illustrations de Chiara Coccorese, très colorées et légèrement surréalistes, que j’ai beaucoup appréciées. En effet, le rêve a toute sa place dans cette histoire, le rêve d’un monde meilleur. Le monde rêvé par Claire, d’abord extraordinaire et loufoque, évolue peu à peu alors qu’elle gagne en maturité. Ainsi, c’est un rêve collectif que nous propose Jonathan Coe, pour ramener un peu de douceur et d’humanité dans ce monde.

Les personnages

Claire est une jeune fille sympathique, que l’on prend plaisir à suivre et à voir évoluer. Elle est humaine, a le sens de la justice et sait parfois se remettre en question. Les autres personnages ne sont qu’effleurés mais, évidemment, on déteste très fort la vilaine Amanda !

L’écriture

L’écriture de Coe se fait ici un peu plus lisse, plus universelle, adaptée à un conte. On se laisse porter, il n’y a pas d’obstacle et les descriptions nous permettent de partager les visions de Claire.

En quelques mots…

Ainsi, avec ce court texte (110 pages), Jonathan Coe nous offre un beau conte moderne, emplid’onirisme et joliment illustré par Chiara Coccorese. Il pointe certains travers de notre société actuelle et nous invite à rêver d’un monde meilleur. Si vous avez envie d’une heure d’évasion et que vous avez gardé une âme d’enfant, je ne peux que vous le conseiller !

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« Le fragment tenu précautionneusement entre le pouce et l’index, elle remonta le talus tant bien que mal et trouva un coin pour s’asseoir. Elle posa l’objet à plat dans sa paume et le regarda de plus près. En se penchant, elle vit se refléter son propre visage, pâlot, avec ses taches de rousseur et son expression perplexe, puis derrière, le bleu du ciel qui lui sembla l’une des choses les plus belles qu’elle ait jamais vues. Elle se perdait dans les profondeurs du miroir, émerveillée par la richesse de cette couleur, dans un état de rêve éveillé, lorsqu’une ou deux gouttes tombèrent sur sa surface, et la ramenèrent à la réalité. »


« Au cours de ces deux ans, Claire eut le temps de s’habituer à ce que le miroir fasse partie de sa vie. Elle en arriva à croire qu’elle n’aurait jamais accès au monde qu’il lui faisait voir – ce monde tellement plus éclatant, plus coloré, plus magnifique que le sien. Elle était déçue, bien sûr, mais elle en acceptait maintenant l’idée. Que faire d’autre, d’ailleurs ? En attendant, elle s’estimait heureuse d’avoir le privilège et le plaisir – secret – de pouvoir y plonger les yeux quand bon lui semblait. Elle le rangeait, enveloppé avec soin d’un morceau de velours vert, dans le tiroir de sa table de chevet. »

mardi 15 avril 2014

Purgatoire des innocents, de Karine Giebel : âmes sensibles s’abstenir !

[Fleuve Noir, 2013]

En début d’année, je découvrais Karine Giebel, dont je lisais beaucoup de bien depuis longtemps, avec « Juste une ombre » qui a été mon premier (et unique à ce jour) coup de cœur de 2014. Aussi, j’étais très curieuse de lire ce « Purgatoire des innocents » qui a récolté de nombreux avis élogieux.

Résumé

Cela commence par un braquage qui tourne mal. Raphaël, son jeune frère William, Fred et la redoutable Christel s’attaquent à une bijouterie de la place Vendôme. Mais on les attend à la sortie, des tirs sont échangés et le sang coule. Ils trouvent alors refuge chez Sandra, en pleine campagne, une vétérinaire en apparence docile qui accepte de soigner Will. Mais qui est-elle vraiment ? Au même moment, à plusieurs centaines de kilomètres de là, un prédateur sexuel s’apprête à frapper.

Une lecture un peu inégale

Il va être difficile d’évoquer ce titre sans en dire trop. Je commencerai en disant que j’ai beaucoup apprécié la première partie du roman qui met aux prises les braqueurs avec l’énigmatique Sandra. Ensuite, j’ai été très surprise et bluffée par la tournure des évènements. Mais une fois passée la moitié du livre, j’ai trouvé quelques longueurs, des scènes de torture trop répétitives à mon goût. L’action et le suspense reviennent dans les cent dernières pages mais, contrairement à « Juste une ombre », le final ne m’a rien offert de très surprenant.

Plusieurs facettes

C’est un roman à plusieurs dimensions. C’est bien sûr un thriller avec une tension omniprésente, un suspense bien présent même s’il s’évapore un peu trop vite à la fin. La violence est là, parfois contenue, souvent exprimée. Chez certains personnages, elle va jusqu’à la cruauté. Les scènes de violence et de torture sont livrées d’une manière très crue qui peut déplaire aux plus sensibles. Mais il y a aussi une dimension psychologique mise en avant grâce à des personnages complexe, dont l’auteure fouille la personnalité.

Les personnages

Une fois de plus, les personnages créés par Karine Giebel font la force du roman. J’ai particulièrement apprécié Raphaël, un truand « vieille école » qui a le sens de l’honneur et, finalement, un grand cœur. Quelqu’un qui a des pulsions de violence, mais qui les combat. Sandra est fascinante car très complexe, parfois on compatit, parfois on ne la comprend pas. Enfin, il y a dans ce roman un personnage particulièrement cruel, un méchant très convaincant et qui vous fera froid dans le dos, je vous laisse le découvrir.

L’écriture

J’aime beaucoup le style de Karine Giebel, qui m’a convaincue une nouvelle fois. J’aime ses phrases courtes et directes, sa simplicité. Elle parvient à bâtir des personnalités étayées et convaincantes, à nous plonger au cœur de leurs réflexions. Elle créé autour d’eux un véritable univers. Elle a également du talent pour décrire l’horreur, même si ce n’est pas forcément un plaisir à lire !

En quelques mots…

Ainsi, je n’ai pas eu de coup de cœur pour ce titre de Karine Giebel, à cause de quelques longueurs ressenties au milieu du roman, et un final pas assez surprenant à mon goût. Les scènes de torture sont nécessaires, mais trop nombreuses à mon goût, je reste une novice en thriller, à l’âme sensible. En revanche, j’admire les nombreuses idées qu’elle a trouvées pour alimenter son intrigue et je continue à apprécier son style. Mais il me semble que je la préfère dans sa dimension psychologique plutôt que dans des scènes plus crues.

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


Challenge New PAL 2014 : 18/20



Big Challenge Livraddict 2014 : 4/5

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« Peu de gens peuvent comprendre. Ou beaucoup trop, malheureusement. Mais tout le monde peut juger. Ce que je suis devenue. Si facile de juger. Si difficile à comprendre. Ça ne fait pas seulement mal à en mourir. C’est bien pire. Ça vous ronge, lentement, de l’intérieur. Ça vous dévore, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une enveloppe vide et sèche. »

« Comment pourrait-elle savoir qu’elle n’est plus une simple enfant ayant l’avenir devant elle ? Plutôt un simple gibier entre les serres d’un chasseur affamé. Une proie qui va nourrir les instincts pervers d’un homme ayant oublié qu’il en était un. Comment pourrait-elle se doute qu’elle a déjà un pied dans la tombe ? »

  « D’un point de vue pénal, mieux vaut violer une femme que le coffre d’une banque. Prendre les armes pour prendre l’argent où il se trouve, voilà un crime impardonnable aux yeux de la justice… Vraiment aveugle, aucun doute. »

samedi 12 avril 2014

Ta mort sera la mienne, de Fabrice Colin : trois destins, une tragédie

[Sonatine, 2013]

Comme promis lors de mon précédent billet sur son roman pour adolescents « Passeurs de mort », on termine cette semaine comme on l’a commencée, en compagnie de Fabrice Colin ! On change radicalement de genre puisque nous sommes ici en présence d’un thriller, qui est sans aucun doute le plus glaçant des deux policiers qu’il a publiés chez Sonatine. Par ailleurs, Bookenstock consacre en ce moment son « mois de » à cet auteur, allez y jeter un œil, Fabrice Colin répond aux questions des lecteurs au jour le jour, c’est très intéressant ! C’est par ici.

Résumé

Aux Etats-Unis, dans la vallée du Moab, des étudiants en écriture créative et leurs professeurs sont réunis dans un complexe hôtelier, à l’occasion d’un séminaire de littérature. Le séminaire n’aura jamais lieu puisqu’un motard vêtu de noir des pieds à la tête fait irruption sur les lieux et tire à vue. Troy n’a aucune pitié et ne s’arrêtera pas avant d’avoir trouvé la personne qu’il cherche. Karen, la conseillère d’éducation du groupe, persuadée de connaître le tueur, se réfugie dans son bungalow en compagnie d’une étudiante. Enfin, Donald, un vieux policier désabusé, se lance avec son équipe dans une course contre la montre.

Trois trajectoires…

J’ai beaucoup apprécié ce roman à trois voix. Nous avons en alternance des chapitres centrés sur Karen (à la 3e personne), sur Troy (à la 2e personne) et sur Donald (à la 1ère personne). Pour chacun d’entre eux, une évocation de leur passé se mêle au récit de la fusillade, et des connexions se dessinent entre eux. L’histoire de Karen est celle d’une femme qui a toujours voulu aider les autres, mais qui a cherché dans de mauvaises directions. Celle de Donald est dominée par un sentiment d’échec et de culpabilité, même s’il a trouvé un semblant de paix dans la sagesse indienne. Quant à Troy, son histoire est celle d’une enfance martyre, sur une île à l’abri des regards, dans les griffes d’une secte.

…une fusillade

Le lecteur découvre donc le passé des trois personnages, mais il est régulièrement et brutalement rappelé à la réalité de la fusillade, qui nous est livrée avec beaucoup de réalisme et des airs de fin du monde. Ames sensibles s’abstenir ! Nous en avons toutes les facettes : il y a d’une part ceux qui se cachent, qui essaient de s’échapper (et nous pauvres, lecteurs, ne pouvons-nous empêcher d’espérer avec eux), et d’autre part la quête du tireur, méticuleux, extraordinairement calme. En lisant ce roman, on ne peut s’empêcher de penser à la fusillade qui a eu lieu sur l’île d’Utoya en Norvège en 2011, et cette rencontre entre l’imaginaire et le réel fait froid dans le dos.

Les personnages

Etrangement (mais pas tant que ça finalement, au vu de la construction du roman), le personnage auquel je me suis le plus attachée, c’est celui du tireur. On ne peut qu’éprouver une forme de pitié envers cet homme qui a vécu l’horreur lorsqu’il était enfant, et en qui on a profondément ancré l’idée d’une fin du monde imminente. Malgré ses actes terribles, ses intentions sont pures. J’ai également éprouvé de la sympathie pour Donald, sa culpabilité et sa quête désespérée de paix. J’ai eu plus de mal avec Karen, qui s’est obstinée à ne rien comprendre et qui a cru pouvoir réparer ses erreurs sans vraiment se remettre en question.

L’écriture

Dans ce roman, je n’ai pas retrouvé le style habituel de Fabrice Colin. Ici, sa plume est plus directe, les phrases sont plus courtes. Il colle à l’état d’esprit de son tueur en gommant l’émotion, il y a une sorte de froideur qui participe à l’ambiance du roman. Il ne prend pas de gants pour décrire la fusillade ou les sévices qui ont cours au sein de la secte. Même si j’avoue le préférer plus aérien, cette écriture sert à merveille son roman et lui donne du rythme. En revanche, du côté de l’éditeur, pas mal de coquilles à signaler dans ce titre, c’est dommage.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un thriller glaçant que nous propose ici Fabrice Colin, qui nous plonge à la fois au cœur d’une fusillade et dans l’engrenage d’une secte. Nous retrouvons, comme dans nombre de ses romans, l’idée d’une fin du monde imminente et de la nécessité de se préparer à la mort. Passé et présent se confondent et vous entraînent toujours plus loin sans vous laisser reprendre votre souffle. A lire si vous appréciez les thrillers et que vous n’êtes pas trop sensible !
Petite info subsidiaire, l'auteur nous promet pour 2015 un 3e policier pour clore sa "trilogie informelle" dédiée au Mal aux Etats-Unis (d'ailleurs, ici, on a de petits clins d'oeil à Blue Jay Way).

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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« Ces derniers jours, tu n’écoutes plus qu’une seule chanson. Un hymne létal qui t’appelle à galvaniser ton âme. Les émotions sont néfastes. On te l’a répété des millions de fois et peut-être que, de toutes les choses qu’on a essayé de te faire entrer dans le crâne, celle-ci est la seule qui t’ait réellement aidé. »

« Tu as appris à transformer tes grimaces en sourires et tes poings serrés en mains tendues, à contrefaire le timbre sauvage de ta voix. La colère et la rage qui t’habitent depuis toujours ont atteint de telles proportions que seul un incendie plus ardent encore serait capable d’y répondre. »


« Sur ton CV officiel : mécanicien, agent de sécurité. La ligne manquante ? Fou errant, épris d’un monde prêt à flamber. »

mardi 8 avril 2014

Passeurs de mort, de Fabrice Colin : affronter ses peurs

[Flammarion, 2014]

En cette première moitié de l'année 2014, ma vie de lectrice fait actuellement la part belle à Fabrice Colin. Je vous ai proposé mon avis sur « Blue Jay Way » le mois dernier, et je prévois de lire encore deux titres d'ici la mi-mai. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il vient à la médiathèque où je travaille mi-mai pour une rencontre ado/adulte. Mais aussi parce que cet auteur s'affirme vraiment comme l'un de mes préférés et que si je veux venir un jour à bout de son incommensurable bibliographie (on peut rêver), il faut s'y mettre sérieusement. Voici donc mon avis sur son dernier roman jeunesse, « Passeurs de mort ».

Résumé 

Angel, 17 ans, surdouée et légèrement cinglée, est en passe d'entrer à l'université quand sa vie prend un tournant inattendu : son oncle Georges meurt et lui lègue une paire de lunettes bien étranges, qui lui permet de voir ce qu'il se passe lorsque quelqu'un meurt ! Bien décidée à percer ce mystère, la jeune fille mène l'enquête et rencontre une bien étrange famille...

Un roman palpitant

« Passeurs de mort » est un roman très bien mené, dépourvu de longueurs. Le lecteur se retrouve rapidement au cœur de l'action et ne s'ennuie pas un instant en suivant l'intrépide Angel. L'auteur parvient sans peine, comme souvent, à préserver le suspense jusqu'à la fin, même si des éléments de réponse nous sont livrés au fur et à mesure de l'intrigue. Comme à son habitude, il s’amuse à brouiller les frontières entre le réel et l’imaginaire. Ce titre est donc à la fois un roman fantastique évoquant la vie après la mort, et un roman d'aventures.

Affronter ses peurs

Ce roman aborde également le thème des peurs et notamment la première d'entre elles, celle de la mort. La préoccupation pour la mort et ce qui se passe après est un thème récurrent dans l'œuvre de l'auteur. Il n'apporte pas ici une vision particulièrement singulière de ce qui se passe au moment où l'on meurt, cela lui sert plutôt de base pour développer son aventure. Angel est quelqu'un de particulièrement angoissé, et cette aventure va l'aider à exorciser cela.

Les personnages

Angel est un personnage qui m'a bien plu. C'est une fonceuse et elle a de l'humour, y compris sur elle-même. Elle est aussi un peu folle (une figurine de L'Etrange Noël de Mr Jack est sa conscience), ce qui n'est pas pour me déplaire ! On pourrait croire qu'elle ne se préoccupe pas beaucoup des émotions des autres, mais il m'a semblé qu'elle avait plutôt du mal à s'ouvrir à eux et qu'elle se refusait à les impliquer dans ses états d'âme. Aussi, ces petits défauts qui pourraient faire d'elle un personnage énervant l'ont rendue touchante à mes yeux. C'est un personnage en quête d'elle-même, qui se cogne à la vie. Parmi les personnages secondaires, la famille Cooper est très intéressante, je n'en dirais pas plus pour préserver la surprise. Enfin, j'ai beaucoup aimé Nadir, c'est le genre de personnage qui pourrait être notre meilleur ami.

L'écriture

Voulez-vous que je vous dise encore une fois combien j'aime l'écriture de Fabrice Colin ? Eh bien oui, j'adore sa plume, sa « patte », j'irais jusqu'à dire que c'est mon auteur français contemporain  favori (du côté des morts, Barjavel reste sur son piédestal) pour ce qui est du style. Il m'arrive souvent de m'arrêter sur certaines phrases et de les lire plusieurs fois, juste pour le plaisir des mots. C'est à la fois beau et efficace. (Si vous pensez que j'en fais trop, sachez que j'en ferais sans doute encore plus dans mon prochain billet, car je suis en train de lire un autre de ses romans, Arcadia, et je me ré-ga-le).

En quelques mots...

Ainsi, « Passeurs de mort » est un roman fantastique et un roman d'aventures avec un personnage principal intrépide et un peu barré qui affronte ses peurs, et notamment celle de la mort. C'est un roman palpitant, bien mené et au style agréable. A lire à partir de 14 ans !

Note : 3,5/5

Stellabloggeuse

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« Cheryl, pauvre Cheryl. Personne, parmi tous les gens réunis ici, ne connaissait mieux oncle George. Elle a eu une liaison avec lui, il y a onze ans : une histoire brève et orageuse – l’autre nom de l’amour. Je ne garde que des souvenirs heureux de cette période, des images joyeuses. George et papa ne s’étaient pas encore fâchés à mort, alors, et je croyais au printemps éternel, j’ignorais qu’une famille pouvait se déchirer plus facilement qu’une feuille de papier avec plein de petits cœurs dessus. »

« Je hume l’air du large. Ce n’est pas vrai, ce que j’ai dit sur la nuit. L’été ici n’a rien de banal. « Juste un ciel piqueté d’étoiles », ça n’existe pas. Ce ciel, ce monde, c’est tout ce que nous avons. »

« L’Incarnation. Les pouvoirs. Soudain, vous êtes quelqu’un d’autre. Soudain, la réalité la plus abstraite au monde devient la vôtre. Vous n’êtes pas devenus la mort, non : vous êtes devenus ses serviteurs, ses hérauts anonymes. Et puis un jour, une petite fille frappe à votre porte et l’histoire s’achève. Vous avez la très désagréable sensation que quelque chose s’est servi de vous. »