mardi 25 mars 2014

Lettre ouverte aux vivants qui veulent le rester, de René Barjavel : plaidoyer pour sortir du nucléaire

[Albin Michel, 1978]

Si vous me suivez un petit peu, vous connaissez mon amour pour René Barjavel et ses romans, par exemple La Nuit des TempsL’enchanteur ou La charrette bleue qui sont chroniqués sur ce blog. Aujourd’hui, j’ai décidé de le découvrir dans un genre différent avec un essai qu’il a écrit en 1978 contre le nucléaire, un thème qui me préoccupe.

C’est un titre très différent de mes lectures habituelles, et je ne sais pas bien par quel bout le prendre pour vous en parler. Ce sera un billet particulier, qui va mêler le compte-rendu de lecture et la prise de position un brin militante, il est difficile de ne pas prendre position en racontant ce livre. Je vais peut-être me faire prendre à partie, mais tant pis, je l’assume. Je suis plus attachée à la vie humaine et à la survie de la planète qu’à notre confort de vie, c’est comme ça et je n’y peux rien. Que les pro-nucléaires se rassurent, ceux qui pensent comme moi sont trop innocents et trop peu nombreux pour que leur avis compte.

Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de partir de quelques citations marquantes (les passages en gras le sont aussi dans le livre) et de les commenter pour vous.

« A l’intérieur, quelque part, dans le cerveau peut-être, on n’en est pas si sûr, se trouve notre esprit, abrité, entretenu, porté par lui. Cet esprit, qui n’est pas capable de commander à une seule cellule de son corps, peut contempler l’univers par les fenêtres des sens, comprendre les mouvements des étoiles et imaginer l’infini. Voilà l’être humain. Vous êtes cela. Vivant. »

En effet, ce que je retiendrai avant tout de cet essai, c’est l’amour de la vie qui animait Barjavel et que l’on ressent bien souvent dans son œuvre. Il considérait la vie comme un miracle précieux et ne comprenait pas que l’on puisse mettre cela en danger.

« Et ils font abstraction de la durée. Pour eux, demain est un autre aujourd’hui, impeccable comme lui. Alors que la succession des jours et des années apporte une succession de possibilités de  défaillances des hommes et des machines. C’est pourquoi il faut trouver le moyen de stopper le nucléaire le plus vite possible, après avoir été obligé de faire appel à lui. Sinon, si le nucléaire dure, un jour ou l’autre, un accident grave se produira. C'est inéluctable. »

Barjavel montre ici beaucoup de clairvoyance, comme il l’a fait dans son roman « Ravage » écrit au début des années 1940, où il imaginait notre future dépendance à l’électricité et le chaos que pourrait provoquer sa disparition. Ici, en 1978, huit ans avant la catastrophe de Tchernobyl, il prophétise un accident grave, et il avait raison…

« Un chef de parti, de droite ou de gauche, ou un militant ambitieux, ne présente jamais les faits tels qu’ils sont mais tels qu’ils peuvent le servir, ou servir son parti, ou desservir ses adversaires. Si on lui pose sur un point concret une question précise, il ne se tait pas : il répond à côté. Il a l’air de répondre, d’avoir dit quelque chose et il n’a rien dit. Il ment dès qu’il ouvre la bouche. Il ne peut plus faire autrement. Le mensonge est devenu sa respiration. Il est tellement imbibé de ses propres mensonges et de ceux dont ses partenaires l’accompagnent et ses adversaires l’assaillent qu’il finit par ne plus rien savoir de la vérité, ni même s’il existe une vérité quelque part. »

Dans ce passage qui m’a fait sourire, Barjavel montre sa méfiance envers les hommes politique. Son discours pourrait être prononcé aujourd’hui, il est plus que jamais d’actualité. En revanche, dans un autre passage, il montre trop de foi envers les écologistes de l’époque, qui n’étaient pas encore très politisés. Il pensait qu’il fallait voter en masse pour eux, pour obliger les hommes politiques à prendre en compte les considérations écologistes et changer les choses. On sait aujourd’hui que les écologistes sont des hommes politiques comme les autres, incapables d’agir pour le bien commun.

« Pour éviter ce séisme de la société, bien plus grave que le plus grave des tremblements de terre assorti de peste noire, pour éviter le retour brutal à une vie sauvage et barbare, et non, comme l’espèrent certains, à un primitivisme idyllique, il faut donc avoir recours au nucléaire monstrueux, mais en préparant dès maintenant son remplacement. Le nucléaire remplacera le pétrole mais il doit lui-même être remplacé dans le plus bref délai. »

René Barjavel ne défendait pas une pensée extrémiste. Il considérait que le monde avait besoin du nucléaire, pour éviter une pénurie de pétrole qui aurait mis à mal les sociétés. Mais il pensait d’ores et déjà à l’après, au développement des énergies renouvelables. Dans cet essai il propose quelques pistes, admet les limites de l’éolien et de l’hydraulique, place ses espoirs dans une géothermie plus profonde. Cette partie est intéressante mais datée, les technologies ont beaucoup évolué.

« Car on sera bien obligés d’arrêter le nucléaire. Si on ne le fait pas en exécution d’un plan précis, on devra le faire dans la hâte et le désordre, sous la pression de la peur engendrée par l’invasion des déchets, ou en catastrophe, après le premier accident grave. L’accident se produira inévitablement. Peut-être dans trente ans. Peut-être demain. Dans l’espoir que ce ne soit pas demain, l’évidence et la prudence commandent de le rendre impossible après-demain. »

Là encore, Barjavel se montre trop optimiste en pensant qu’un accident grave conduira à l’arrêt du nucléaire. Il n’a pas vécu assez longtemps pour voir Tchernobyl et Fukushima, il n’aura pas vu à quel point on a vite balayé nos peurs au nom de l’économie mondiale. Enfin, il rappelle dans son essai qu’au-delà des accidents, il y a le problème des déchets. Au début de l’ère nucléaire, on a enfoui les déchets dans des coffrets en métal et en béton, et on les a jetés à la mer. Un jour, invariablement, dans cent, deux cent ans, ils s’effriteront, libéreront leur substance dans les eaux. Cette partie fait froid dans le dos.

En quelques mots…

Ainsi, c’est un essai un peu daté, notamment en ce qui concerne les technologies, mais qui reste très intéressant à lire. Il met la vie au premier plan, ce que nous ne sommes pas capable de faire. Il nous montre un Barjavel visionnaire qui promet des accidents graves et qui songe déjà au remplacement du nucléaire. Il rappelle le problème les déchets. Le tout avec une plume agréable et des touches d’humour bienvenues, même si on ne retrouve pas le ton qui lui est propre dans ses romans. Ici, il s’adresse plus directement à son lecteur, comme s’il discutait avec lui.

Note : 3,5/5
Stellabloggeuse

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Ce titre fait partie des challenges :


Challenge ABC 2014 : 5/13




Challenge New PAL 2014 : 16/20

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Et une dernière citation pour la route :

« […] les techniques les plus exquises de l’électronique, de l’optique et des ondes permettent d’envoyer tourner autour de la Terre deux mille satellites qui repèrent, photographient, agrandissent et classent les objectifs de la prochaine guerre générale, que personne ne veut  et tout le monde prépare, et en attendant laquelle la moitié des peuples meurt de faim tandis que l’autre moitié regorge de tout en gémissant sur son infortune. »

2 commentaires:

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