mercredi 4 septembre 2013

Je suis sa fille, de Benoit Minville : un road-trip pour tuer le Grand Patron

[Sarbacane, septembre 2013]

Vous qui fréquentez ce blog assidûment ou de manière plus occasionnelle, vous savez sûrement que la collection Exprim’ des éditions Sarbacane est chère à mon cœur pour ses romans modernes, ses histoires sans tabou. Vous savez aussi sans doute que je suis sensible au thème des dérives du capitalisme, que j’ai apprécié dans les romans « A la vie à la mort » de Henri Courtade ou « On ne peut pas lutter contre le système » de J. Heska. Aussi, quand on m’a proposé de lire « Je suis sa fille », le premier roman de Benoit Minville (sorti aujourd'hui 4 septembre en librairie), qui s’inscrit également dans cette thématique, je n’ai pas hésité.

Résumé

Le père de Joanny est entre la vie et la mort. L’homme qui l’a élevée seul, qui l’a aimée et construite, qui a su la guider aux abords de l’âge adulte dans une tendre complicité. En elle grandit une rage sourde contre ceux qui ont provoqué ce drame, contre ce système financier qui broie les plus faibles. Pour elle, une seule solution : partir en voiture à l’autre bout de la France pour tuer le Grand Patron français et changer les choses. Hugo, son ami fantasque et fidèle, l’accompagne dans ce voyage à travers la France. Jusqu’où iront-ils ?

Un message fort

Ce roman porte un message qui lui donne toute sa force, un véritable cri de révolte. L’auteur se fait le porte-parole d’une jeune génération révoltée d’avoir vu ses parents se résigner et être sacrifiés sur l’autel de la finance. Une génération qui ne comprend pas que le bien être importe moins que l’argent, et dans laquelle je me reconnais. Une génération qui voudrait changer les choses, mais qui ne sait pas comment faire. Et qui, lorsque la vie devient trop dure à affronter, peut exploser et être tentée de prendre les armes.

Il y a dans ce roman une colère, une rage légitime et compréhensible, mais aussi une question : jusqu’où peut-on aller ? L’auteur enjoint cette génération à ne pas perdre son âme dans une quête de vengeance, à avoir confiance en elle et à être fière de ne pas être « comme eux ». Enfin, une très belle relation père-fille et des amitiés sincères enveloppent et adoucissent cette rage et cette colère. Elles sont, au final, ce qui compte vraiment dans cette histoire.

Quelques bémols

Si j’ai aimé le propos du roman, si j’ai été touchée par son message, j’ai cependant quelques réserves sur l’histoire en elle-même. Je n’ai pas réussi à entrer véritablement dans l’intrigue, à me mettre à la place des personnages et à être en osmose avec eux. Pour moi, le voyage effectué par les deux amis entre Paris et Nice manque un peu de corps, de profondeur. Nous traversons la France rurale, mais en l’effleurant à peine, sans aller au fond des choses, en remuant au passage quelques clichés (dans les prénoms des personnes rencontrées, par exemple). Je n’ai pas vraiment cru non plus à cette histoire d’amour qui est belle mais qui « tombe du ciel » d’une manière un peu trop idéale.

Les personnages

En ce qui concerne les personnages, Joanny est une adolescente plutôt attachante, on voit qu’elle a été élevée avec amour et qu’elle ne demande qu’à continuer sa vie en toute simplicité. Elle est prisonnière d’une rage qui la consume et s’imagine qu’elle ne peut s’en débarrasser qu’avec un acte extrême. J’ai beaucoup moins cru au personnage fantasque de Hugo. Il m’a fait sourire à de nombreuses reprises, mais j’ai eu du mal à me dire qu’un garçon tel que lui pouvait véritablement exister : c’est une belle création littéraire, mais on le verrait difficilement évoluer dans le « vrai monde ». Quant à Blanche, j’ai eu du mal à la cerner, à déterminer son rôle dans cette histoire.

L’écriture

Le style de Benoit Minville est assez simple et direct. La plupart du temps, il s’exprime au présent et à la première personne, en adoptant le point de vue de Joanny. Sa manière de s’exprimer est plutôt moderne, crédible pour des adolescents sans tomber dans l’écueil d’un langage pauvre ou trop familier. Il manie bien l’humour et glisse de nombreuses références à la musique ou au cinéma.

En quelques mots…

Ainsi, « Je suis sa fille » diffuse un message important et nécessaire, met en lumière la révolte des jeunes générations contre un système qui a brisé leurs parents. Ce roman invite les adolescents à se construire avec de vraies valeurs et à lutter, sans se laisser déborder par la colère. A devenir des adultes solides et responsables. Il est dommage que ce message soit servi par une histoire qui manque un peu de profondeur, qui aurait mérité d’être creusée davantage. Mais c’est un premier roman encourageant pour l’auteur, et je le conseille volontiers aux adolescents (à partir de 14/15 ans) et aux jeunes adultes qui s’intéressent à ces questions de société. D'ailleurs, certains ont eu un coup de coeur, comme Culturez-vous (entre autres).
Merci à Myriam et aux éditions Sarbacane pour leur confiance et pour cette découverte.

Note : 3/5

Stellabloggeuse

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« C’est drôle. On a la même pudeur face à l’innommable, comme des petites filles qui parleraient de sujets de grands. On respecte notre gêne respective face à ce sentiment irréversible né de l’urgence qui écrase tout. On arrive vraiment à se parler et à s’entendre. Alors c’est tout simple, d’un coup. J’ai envie de l’aider et je l’aide :
-Cette…rage c’est le bon mot. Voilà. Comme pour les chiens. Cette rage qui te bouffe, le noir qui enveloppe tout, et toi tu voudrais juste hurler : Mais laissez-moi, arrêtez rien qu’une minute de m’obliger à penser au pire, je ne veux rien, je veux juste vivre ma vie sans qu’on vienne me la bousiller.
-Et cette idée qu’il n’y aura plus rien après, que la seule chose que tu veux c’est en finir ; trouver une échappatoire, un coupable. Ou bien mourir maintenant. »

« Papa, je pars te venger, et je veux croire, pour me donner du courage ou légitimer mon choix, que TOUS les enfants qui aiment leurs parents comme je t’aime feraient de même. C’est pour ça que nous sommes là, non ? Pour que vous soyez fiers de nous et que nous réussissions là où vous avez échoué, enfin…là où vous vous êtes arrêtés. Pour que nos rires vous rendent la vie moins pire qu’elle n’est, ou plus belle, ça dépend des jours. Merci du cadeau. J’ai pas demandé à voir tes larmes séchées sur tes joues, ces crevasses dans ton être, causées par tout ça. Je n’ai pas demandé à pâtir de votre boulimie de temps, de votre appât du gain, quand moi je voulais goûter à la vie en toute simplicité. Et je n’arrive pas à conjurer les souffrances inutiles ; je n’accepte pus les gros titres désespérés. Et JE change les règles du jeu pour qu’ON avance encore. Au prix fort. Un prix qu’ils ne pourront jamais mettre sur ma morale. Jamais. Grâce à toi. »

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