samedi 30 mars 2013

La charrette bleue, de René Barjavel : une plongée dans la Drôme d'un autre temps

[Denoël, 1980]

J'ai déjà, sur ce blog, chanté sur tous les tons mon amour pour René Barjavel et son oeuvre, bien que j'aie chroniqué peu de ses livres sur ce blog, et pour cause : mes lectures datent pour la plupart de plusieurs années, et je crains que des billets basés sur de lointains souvenirs ne rendent pas suffisamment justice à ses romans. Vous trouverez néanmoins ici mes avis sur La Nuit des temps (tellement relu qu'il est gravé dans ma mémoire) et L'enchanteur. Quoi qu'il en soit, je continue à découvrir son oeuvre petit à petit, en la dégustant. Je me suis cette fois plongée dans ses souvenirs d'enfance avec "La charrette bleue".

Résumé

Dans cette autobiographie, René Barjavel nous livre ses souvenirs de la Drôme de son enfance, dans la petite ville de Nyons. En fil rouge, la maladie et la mort de sa mère. En toile de fond, la Première Guerre Mondiale. Barjavel déroule peu à peu le fil de ses souvenirs et se laisse parfois emporter dans des réflexions plus générales concernant la société. En le lisant, vous découvrirez le cancre qu'il a été, les secrets de la fabrication du pain, la vie dans une France en guerre, la confection de la soupe du soir, les charmes de la vie rustique... Evasion et dépaysement garantis !

Une enfance d'un autre temps

L'une des choses qui m'a frappée en lisant ce livre, c'est que René Barjavel a connu une enfance comme il n'en existe plus. Pas de télévision, pas d'Internet, seulement des activités de plein-air, des choses simples. Il a vécu dans un monde différent, où les petits artisans étaient encore légion, fabricant des charrettes, brûlant des grains de café avant de le moudre, etc. Un monde où l'on se déplaçait à pieds et à vélo. Ajoutons à cela le contexte de la Première Guerre Mondiale, qui a conduit le jeune René à vivre ses plus jeunes années dans un monde de femmes, d'enfants et de vieillards. Ainsi, cette autobiographie nous livre également le quotidien d'une époque révolue, que j'ai découverte avec beaucoup de curiosité et d'intérêt.

La vie rurale d'un petit coin de Drôme

Mais cette autobiographie recèle également de nombreux paysages, puisque nous parcourons avec l'auteur son petit coin de Drôme, là où il a vécu avec sa famille. Cette dimension m'a tout autant séduite que le reste, et m'a donné envie de visiter cette région. Ainsi, René Barjavel m'a fait voyager avec lui. J'ai également aimé la simplicité de cette vie rustique, où les gens produisaient tout ce dont ils avaient besoin pour vivre. Aujourd'hui, les paysans gagnent plus d'argent, mais paradoxalement, ne vivent plus de leur activité.

L'intimité de Barjavel

Cette autobiographie permet également de pénétrer dans la famille de l'auteur, d'apprendre à le connaître, de se trouver avec lui quelques points communs (il avait, par exemple, horreur du pastis^^). Il nous fait partager ses joies simples, mais aussi ses chagrins et les malheurs qui ont frappé sa famille, notamment le décès de sa mère. Ce livre recèle donc une certaine émotion, particulièrement puissante lorsqu'arrive la fin du livre.

Les personnages

Nous ne pouvons pas vraiment parler de "personnages" puisque tous ont réellement existé, mais l'auteur nous présente en tout cas des figures marquantes : sa mère avec son intelligence et sa volonté de fer, son rêveur de père, incapable de dire non et de gérer de l'argent, Nini qui prend soin de tout le monde... Cela a été un plaisir de faire un bout de chemin avec eux.

L'écriture

J'ai l'impression de me répéter, mais je suis amoureuse du style de l'auteur, de sa manière de raconter les choses, parfois directe, souvent tendre. Une foi encore, il ne m'a pas déçue. Je pouvais presque me l'imaginer à côté de moi, en train de me conter ses souvenirs. Il parvient à livrer ses souvenirs et à dépeindre la vie rurale d'une manière vivante, contrairement à d'autres auteurs que je ne citerai pas ici ! Les descriptions des paysages de son enfance sont très réussies, et donnent envie de s'y promener.

En quelques mots...

Ainsi, j'ai été totalement sous le charme de cette autobiographie qui rassemble souvenirs, paysages et réflexions. Barjavel nous fait ici le récit d'une époque révolue, qui à coup sûr vous procurera un moment d'évasion et de dépaysement. Je ne peux que vous recommander chaudement cette lecture, si vous aimez les souvenirs d'enfance et la campagne, ou tout simplement si vous voulez connaître un peu mieux René Barjavel. Pour ma part, je compte poursuivre l'aventure avec ses souvenirs d'adulte intitulés "Journal d'un homme simple".

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse


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Ce roman fait partie des challenges :


Challenge Bouge ta Pal ! : lecture n°30


Challenge Où sont les hommes ? : lecture n°34

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« Curieuse entreprise, d’écrire des souvenirs. On tire sur le fil, et on ne sait pas ce qui va en sortir. Comme ces illusionnistes qui extraient de leur bouche, suspendus en guirlande, une fleur, une lame de rasoir, une ampoule allumée, un petit lapin… J’évoquai les nourrissons et me voilà parmi les octogénaires… Tirons le fil : voici de nouveau la boulangerie. »

« J’ai été quelque peu leur victime à l’âge de quatorze ans, l’âge de mes amours passionnées et innocentes. J’étais Roméo mais je ne montais pas à l’échelle. Elles voyaient déjà la fille enceinte. Elle avait quinze ans. Je me promenais avec elle en lui tenant la main. Elles mesuraient de l’œil son tour de taille… C’est un peu à cause d’elles que j’ai du quitter Nyons pour devenir pensionnaire au collège de Cusset. Je devrais leur en être reconnaissant, car mon séjour dans ce collège comme élève, sous la direction du principal Abel Boisselier, le chef d’établissement le plus extraordinaire que l’Université française ait jamais connu, fut pour moi comme le séjour d’un bulbe dans un sable tiède, ensoleillé et arrosé d’engrais, d’où j’allais jaillir à dix-huit ans, plus averti mais toujours aussi tendre, vers le grand ciel de l’amour et de la vie. »

" Quand a éclaté Mai 68, je suis allé presque tous les jours au Quartier latin, regarder. J’ai vu brûler non les cahiers mais les voitures. C’est pourtant bien du feu des écoliers qu’il s’agissait. Longtemps désiré, refoulé, comprimé, il avait éclaté d’un seul coup, exprimant la révolte de cent générations contre la discipline du savoir. Bien sûr, pour connaître, il faut apprendre. Mais arracher des enfants à leur activité normale qui est celle de l’agitation inutile et joyeuse, pour les enfermer entre quatre murs où pendant des années on leur empile dans le crâne des notions abstraites, c’est la torture la plus masochiste que l’homme ait inventé contre lui-même. Le grand feu de mai 68 était un élan de libération, et non un élan de révolution sociale, comme certains ont voulu le croire. La preuve est qu’il n’en est rien resté, qu’un peu de cendres."

dimanche 24 mars 2013

Druide, d’Oliver Peru : une grande épopée fantasy, des combats rudes

[Eclipse, 2010]

Cela faisait maintenant plusieurs mois que « Druide » d’Oliver Peru m’intriguait. En effet, ce titre de Fantasy a été pendant un temps le favori des lecteurs inscrits sur Livraddict, ce qui n’est pas rien ! Après quelques rendez-vous manqués, le challenge ABC 2013 et une lecture commune organisée par Habitant of Sto sur Livraddict m’auront donné l’occasion de me plonger pour de bon dans ce roman.

Résumé

Un massacre terrible a été commis à la forteresse de Wisneight, du royaume de Sonrygar. Un massacre qui pourrait servir de prétexte à une énième guerre avec le royaume du Rahimir, l’adversaire de toujours. Pour empêcher cela et éviter de sacrifier inutilement des vies, le Druide Obrigan et ses deux apprentis ont 21 jours. Mais rapidement, la menace s’étend également sur la Forêt, un lieu pourtant éminemment sacré depuis le Pacte signé plus de 1000 ans auparavant…

Un univers riche et plaisant 

La première chose à dire concernant ce titre, c’est que c’est un très bon roman de fantasy, digne des plus grands du genre, avec un univers fouillé, bien construit, et plaisant. De belles et habiles descriptions donnent vie à des paysages grandioses, qui feront assurément voyager le lecteur. J’ai également apprécié la manière dont l’auteur a organisé ce monde, avec sa forêt, son ordre de Druides bienveillants et les royaumes des hommes. Oliver Peru fait montre ici de beaucoup d’imagination, et l’ensemble est tout à fait cohérent.

Une enquête prenante, des combats très présents

J’ai été rapidement happée par l’intrigue, et notamment par l’enquête menée par Obrigan. Le roman est divisé en 21 chapitres, soit le nombre de jours dont dispose ce dernier pour résoudre le mystère. Ainsi, le lecteur ressent assez rapidement une tension qui le pousse à tourner les pages. Les évènements s’enchaînent, et je n’ai pour ainsi dire pas vu passer les 400 premières pages. Malheureusement, les 200 dernières pages ont été  plus laborieuses, car elles sont essentiellement constituées de combats (qui plairont sans doute aux amateurs d’héroïc fantasy). Ajoutons que ces combats, ainsi que les meutres perpétrés par la « menace » sont très sanglants, voire gore, et que je suis une petite lectrice au cœur mal accroché !

Les personnages

En ce qui concerne les personnages, nous suivons la plupart du temps le point de vue d’Obrigan, et parfois celui de ses apprentis. Ainsi, Obrigan est naturellement le personnage dont je me suis sentie le plus proche. C’est un druide, un homme droit et dévoué, qui fait preuve d’intelligence et de courage. Son amour pour ses deux apprentis, qu’il considère comme ses fils. Parmi eux, j’ai apprécié Tobias, un jeune homme qui n’a pas le talent naturel de ses confrères, mais qui compense cela par son intelligence et son courage. Enfin, j’ai été sensible à la personnalité de Jarekson, le prince du trône de glace, un fieffé menteur et manipulateur mais également un homme plein de fêlures et dévoué à son royaume.

L’écriture

En ce qui concerne l’écriture, le style d’Oliver Peru est agréable et affirmé. Les descriptions sont agréables et étayées, les dialogues sont crédibles et cohérent. Les combats et les meurtres sont décrits dans toute leur horreur, on s’y croirait ! Malgré l’épaisseur du roman, le style ne se relâche pas un instant, la qualité reste la même. C’est donc une lecture fort agréable.

En quelques mots…

Ainsi, « Druide » est un excellent roman de fantasy qui m’a rapidement happée. J’ai beaucoup apprécié l’univers et certains personnages, un peu moins l’omniprésence des combats durant le dernier tiers du roman et leur côté « gore ». Je le recommande néanmoins chaudement à tous les amateurs du genre ! Merci à Habitant of Sto d’avoir organisé cette lecture commune et de m’avoir permis de découvrir ce titre !

Et voici les avis de mes camarades de lecture : PaikanneBambi SlaughterJ.a.e_LouFelina,Bouchon des boisSamlorAeyrineBouquinette,  ..


Note : 4/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


Challenge ABC 2013 : 12/26


Big Challenge 2013 : 6/10


Challenge « Où sont les hommes ? » : lecture n°33


Challenge « Bouge ta PAL ! » : lecture n°29

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« -La discussion entre les rois n’aura lieu que demain, mais ces hommes-là savent ce qu’ils veulent, remarqua Tobias.
-Le sang d’une nation pour l’honneur d’un seul homme, maugréa Obrigan en réalisant qu’il tenterait bientôt de raisonner un roi déterminé à écrire le dernier chapitre d’une guerre millénaire. Yllias n’aime rien et il ne hait qu’une chose, le trône de glace. C’est à la fois une malédiction et une force terrible. Demain, sa colère parlera, elle accusera le Rahimir du meurtre commis à Wisneight pour lui déclarer la guerre. »

« Arkantia devait repousser l’intrus, ouvrir les yeux et mettre fin à cette démence mais sa raison et son corps lui paraissaient terriblement loin l’un de l’autre.  La peur l’empêchait de réagir et la gardait entre les mains d’une force qui l’entraînait toujours plus loin vers l’Est, vers la douleur. Tristesse et souffrance souillaient tout ce qui l’entourait. La terre, les arbres, la nuit, le silence torturaient ses sens.  Elle percevait le goût bileux de la sève empoisonnée qui coulait sous l’écorce des arbres. Elle entendait battre leur cœur malade. Leurs branches, des serres vicieuses et avides de sang, ne portaient que des feuilles marquées par le flétrissement d’une terre à l’agonie. L’air vicié et irrespirable du cœur noir n’était que mort et corruption. Forêt et maladie ne faisait qu’une au-del) du mur du rôdeur. »

mercredi 20 mars 2013

Indiana Teller, tome 3 : Lune d’automne, de Sophie Audouin-Mamikonian : encore plus rythmé, encore plus drôle

[Michel Lafon, 2013]

*Attention, il s’agit du troisième tome d’une saga, présence de spoilers sur les deux tomes précédents*

Il y a seulement quelques semaines, je dévorais avec grand plaisir le second tome des aventures d’Indiana Teller, le héros de Sophie Audouin-Mamikonian. J’avais déjà beaucoup aimé le premier tome de cette saga. Aussi, lorsque l’opportunité de découvrir le troisième tome dès sa sortie s’est présentée, je n’ai pas hésité, et je n’ai pas été déçue par cet avant-dernier volet !

Résumé

Au Lykos ranch, Indiana est désemparé : mordue par Tyler, Katerina s’apprête à se transformer en une semi assoiffée de sang. Son corps se métamorphose déjà et prend d’énormes proportions. Mais, plus inquiétant, la jeune fille ne semble pas vouloir se réveiller… Pendant ce temps, Tyler Brandkel met en accusation la meute d’Indiana au sein d’un procès, dans lequel il implique les vampires. Ce qui ne pose pas de problèmes…jusqu’à ce que les chefs légitimes ne soient évincés par un vampire aussi fou que sanguinaire. Voilà encore beaucoup de choses à gérer pour Indiana !

Une intrigue rythmée

Ce troisième tome est, à mes yeux, encore plus rythmé que les deux précédents. Je ne me suis pas ennuyée un instant, et je n’ai pas vu arriver la fin. L’auteure a su me happer dès le départ pour me relâcher à la dernière page avec une seule phrase à la bouche : « vivement le quatrième et dernier tome ! ». Les évènements s’enchaînent de manière fluide, de nombreux rebondissements prennent le lecteur par surprise. L’auteure mène plusieurs intrigues étroitement imbriquées et réussit toujours à préserver le mystère sur la manière dont tout va se dénouer. Seul bémol, que j’avais déjà soulevé : les obstacles sont parfois franchis un peu trop facilement, j’ai notamment été frustrée par le « combat final » contre le « grand méchant » qui est plié en trois pages. Mais il s’agit là de mon unique regret.

Un moment de détente et de rire

Cette saga constitue une excellente lecture-détente, et ce tome ne fait pas exception à la règle, c’est sans doute le plus drôle des trois. Indiana continue à pratiquer l’autodérision comme il respire, en permanence. En outre, l’auteure nous offre dans ce tome des scènes extrêmement cocasses (dont une impliquant Chuck et une vache) permettant de désamorcer la tension de l’intrigue. Enfin, l’auteure joue avec des références culturelles connues (Harry Potter, la légende arthurienne…) qu’elle n’hésite pas à détourner. Certes, les « puristes » de la légende arthurienne seront sans doute choqués par l’utilisation qui en est faite. Mais on ressent vraiment que l’auteure a pris du plaisir à détourner ainsi ces références et qu’elle ne se prend pas au sérieux, tout comme son personnage. Au final, « Indiana Teller » est une saga à lire au second degré, avec beaucoup de recul et d’humour, pour l’apprécier pleinement. Et je peux vous assurer que l’on s’amuse franchement !

Les personnages

Le personnage d’Indiana, que j’ai toujours beaucoup aimé, me séduit de plus en plus. En effet, il gagne en assurance et s’affirme davantage dans ce tome. Il a un côté rassurant, car il a toujours un plan en tête…même si ce dernier est souvent dément ! Etrangement, Katerina me plaît davantage depuis qu’elle est une semi. Cette transformation rend sa relation avec Indiana plus intéressante, j’attends de voir comment cela va évoluer. Enfin, j’ai fortement apprécié le personnage de Mordred, un vampire complètement schizophrène « à la manière de Gollum dans le Seigneur des Anneaux », pour reprendre les mots de l’auteure.

L’écriture

J’ai déjà évoqué un peu plus haut la manière dont Sophie Audouin-Mamikonian mène son intrigue avec humour et joue avec les références culturelles. Je n’ai donc plus qu’à ajouter qu’une nouvelle fois, sa plume est efficace et agréable à suivre, sans être particulièrement travaillée.

En quelques mots…

Ainsi, je me suis régalée avec ce troisième tome des aventures d’Indiana Teller, racontées avec beaucoup de rythme et d’autodérision. Mon seul regret c’est que le combat final n’ait finalement pas été véritablement disputé. J’ai vraiment hâte de découvrir le dernier volet et de connaître le fin mot de l’histoire, sans doute au printemps 2014… 
Un grand merci à Camille et aux Editions Michel Lafon pour leur confiance et pour cette lecture !

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse


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Ce roman fait partie des challenges :

  

Où sont les hommes ? : lecture n°32

  

Bouge ta PAL ! : lecture n° 28

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« Soudain, un long hurlement nous fit sursauter. Katerina fixait son image contre le mur, avec une effrayante intensité. Et elle hululait comme une vraie sirène d’alarme. L’espace d’un instant, je crus qu’elle s’était fait mal, mais elle n’avait pas bougé. Elle se contentait de hurler. Je m’approchai…enfin pas trop…et murmurai :
-Oui, c’est toi, c’est ta forme humaine. Tu dois la reprendre, Katerina, c’est la seule solution. Cela te permettra d’échapper à la soif de sang. Ecoute-moi, Kat, transforme-toi !
L’espace d’un instant, son regard croisa le mien et je vis émerger Katerina, ma Katerina, derrière le monstre. Mais le monstre inspira, , reniflant mon odeur, et Katerina disparut aussi vite qu’elle était apparue, submergée par la soif de mon sang et de ma chair. »

« Lorsque j’étais prince de mon royaume, il y a des centaines d’années, avant ma …retraite (son ton était devenu ironique sur  ce dernier mot), les humains étaient déjà nombreux, mais ils n’étaient pas très difficile pour vous, les loups, les trolls, les elfes,  de vivre à leur côté, à condition d’éviter de trop les décimer. Puis nous sommes arrivés, nous les « vampiris », derniers surnaturels nés d’un acte de magie, dépendant, hélas ! de leur sang, et les choses ont changé. J’ai vite compris que nous devions diriger les humains, sinon ils allaient nous anéantir. En contrôlant les gouvernements, nous aurions contrôlé les masses. Hélas ! Arthur, mon père, le roi, ne partageait pas mon point de vue. Il avait horreur de la magie, lui qui pourtant utilisait Merlin et Excalibur sans compter. Comme vous le savez, il m’a vaincu. Et il en est mort. »

samedi 16 mars 2013

L’atelier des miracles, de Valérie Tong Cuong : un roman choral qui vous prend par surprise

[JC Lattès, 2013]

Voici un livre que j’ai rencontré par hasard, qui m’a interpellée sur le présentoir des nouveautés de la médiathèque. Il y avait ce titre évocateur, « L’atelier des miracles », et une quatrième de couverture attrayante laissant supposer une histoire à trois voix plutôt légère et optimiste. L’auteure, Valérie Tong Cuong, n’en est pas à son coup d’essai. Aussi, je me suis laissée tenter !

Résumé

Millie enchaîne les missions d’intérim en secrétariat, avec toujours la même volonté : se faire oublier. Elle consacre toute son énergie à porter une lourde culpabilité qui lui vient de l’enfance, jusqu’à ce qu’un incendie vienne la cueillir dans son appartement. Monsieur Mike, quant à lui, est un ancien soldat qui vit dans la rue. Ses journées se noient dans la bière tandis que son voisin d’infortune, un drogué, lorgne sur son porche, jusqu’au jour où… Enfin, Mariette est au bord de la crise de nerfs, mal aimée en famille, méprisée par ses élèves, elle ne sait plus quoi faire. Tous trois passeront par « L’Atelier » de Jean, un endroit où on répare les gens. Mais à quel prix ?

Un roman choral

Il s’agit d’un roman à trois voix, chaque personnage s’exprimant alternativement, par chapitre. Cela créé une certaine attente puisqu’il faut « attendre » deux chapitres pour connaître les aventures de l’un des personnages. Cela nous amène à tourner les pages et à ne plus lâcher le livre. En effet, j’ai été assez vite charmée et happée par ce roman et j’avais hâte de connaître le fin mot de l’histoire. Mais justement, cette fin est peut-être arrivée un peu vite, le roman est un peu trop rapide à mon goût.

Une histoire moins angélique qu’elle n’en a l’air

Quoi qu’il en soit, ce qui m’a plu et m’a agréablement surprise dans ce roman, c’est que l’histoire est beaucoup moins légère et angélique qu’elle n’en a l’air. Tout d’abord, ces trois personnages ont subi des traumatismes, qui nous sont dévoilés au fil de l’intrigue. L’auteure aborde le retour à la vie civile des militaires, la vie dans la rue, la dégradation du climat dans les collèges, le mal-être…

Mais surtout, les méthodes utilisées par Jean pour améliorer la vie des gens nous posent rapidement question. L’auteure nous rappelle ainsi que « l’enfer est pavé de bonnes intentions », et nous amène à nous demander : Peut-on tout se permettre, lorsqu’on est persuadé d’agir pour le bien d’autrui ? Ainsi, il n’y a pas de réel « miracle », et c’est en eux que ces personnages puisent la force nécessaire pour surmonter les obstacles.

Les personnages

Les trois personnages principaux de ce roman m’ont été rapidement très sympathiques, c’est grâce à eux que j’ai été si rapidement « embarquée » par l’histoire. Je crois que celle que j’ai préféré reste Mariette, la femme qui a réussi dans la vie, mais qui n’en est pas moins profondément malheureuse. Monsieur Mike m’a aussi beaucoup plu. Millie m’a moins touchée, peut-être à cause de son côté manipulateur. Quant à Jean, je ne l’ai pas « senti », dès le départ, et la suite m’a montré que j’avais raison, même si ce n’est pas un mauvais homme.

L’écriture

Valérie Tong Cuong a déjà écrit un certain nombre de romans, et cela se ressent à son écriture assurée, que j’ai trouvé très agréable. Elle n’est pas particulièrement stylisée, mais rien de détonne et les pages se tournent toutes seules. Elle n'hésite pas à utiliser des mots parfois un peu cru ou familier, elle ne cherche pas à enjoliver les choses : c'est la vraie vie, qu'elle raconte ici. Elle parvient tout à fait à se mettre dans la peau de ses trois personnages. Je lirais volontiers d’autres titres de cette auteure, notamment « Providence » qui semble avoir été le plus salué par la critique.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai fait une jolie découverte avec ce roman à trois voix, bien moins léger et angélique qu’il n’en avait l’air au départ, bien qu’il soit un peu court à mon goût. Je suis ravie de m’être arrêtée sur ce titre à la médiathèque, il en valait la peine, et c’est une des sorties 2013 que je vous recommande volontiers.

Note : 4/5

Stellabloggeuse

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« Pendant presque vingt ans, j’avais exercé ce métier avec passion. Maintenant, je le sais : j’étais bien plus heureuse avec mes élèves durant toutes ces années que chez moi, face à mon mari, et même plus tard, aussi étonnant que celui puisse paraître, face à mes propres enfants. Chaque matin je m’empressais de quitter l’appartement, toute au plaisir de retrouver mes quatre murs couverts d’immenses photos et de cartes géographiques aux couleurs délavées. Les vacances me paraissaient interminables, surtout l’été qui me laissait à bout de souffle et d’ennui. Mais peu à peu, les choses avaient changé. J’avais senti l’écoute se tarir, l’estime diminuer, les critiques s’accumuler. Ce n’était pas contre moi, bien sûr, c’était toute la corporation qui était visée. Les journaux nous traitaient de fainéants, de perpétuels mécontents, de sangsues de la société. On nous accusait de creuser la dette de l’Etat, de produire des générations incultes. Les élèves, baignés dans ce climat toxique, réfutaient le moindre signe d’autorité. »

« C’était comme des rafales de tristesse, cette sensation d’avoir marché toute ma vie à côté de mes godasses, jamais au bon endroit, toujours à contretemps, jusqu’à comprendre enfin qui j’étais, jusqu’à savoir enfin ce qui me manquait, mais juste un peu trop tard. Au moins ici, sur mes marches, je ne me ferai pas d’illusion, il n’y avait rien ni personne à attendre, ici personne ne m’aimerait pour l’allure, l’enveloppe ou le pognon – peut-être bien que personne ne m’aimerait tout court, mais ça je m’en foutais, j’avais découvert que la seule chose importante, c’était la vérité. »

samedi 9 mars 2013

Défendre Jacob, de William Landay : un roman prenant sur l’intime conviction d’un père

[Michel Lafon, 2013]

Vous le savez, je ne suis pas très friande de thrillers et polars, j’en lis assez peu, même si j’en ai apprécié certain. Tout simplement, c’est un genre vers lequel je ne vais pas naturellement. Mais "Défendre Jacob" de William Landay a attisé ma curiosité, et je me suis laissée tenter !

Résumé

Depuis une vingtaine d’année, Andy Barber est le procureur adjoint du Massachussetts, un homme écouté et respecté, aux intuitions fiables. Il mène une vie de famille paisible avec sa femme, la douce Laurie, et son fils, l’énigmatique Jacob. Mais sa vie bascule lorsqu’un adolescent de 14 ans est assassiné dans leur petite ville. Andy commence à mener l’enquête aux côtés de la police…jusqu’à ce que les soupçons se portent sur Jacob. Commence alors une longue descente aux enfers durant laquelle Andy ne cessera pas une seconde de soutenir son fils, contre toutes les preuves…

Un roman plein de tension et de doutes

J’ai beaucoup apprécié ce roman à la construction particulière. Nous avons en effet une alternance entre des scènes issues d’une audience du grand jury, lors de laquelle Andy est interrogé en tant que témoins par le procureur, Neal Logiudice (qu’il a lui-même formé), et les souvenirs d’Andy depuis le meurtre, jusqu’à la conclusion du procès. Il revient également sur son propre passé. Lorsqu’il relate ses souvenirs, il se montre tout à fait sincère, lors de l’audience un peu moins.

Quoi qu’il en soit, cette construction permet de lever le voile petit à petit sur ce meurtre et les preuves qui l’entourent. Pourtant, les choses ne s’éclairent pas pour autant, et les doutes sont de plus en plus importants. Personnellement, j’ai été totalement sous tension, happée par ce mystère et aux prises avec mes doutes, essayant de me forger mon intime conviction. Autant vous le dire, je n’y suis pas parvenue, et la fin du roman ne nous apporte aucune certitude. En tout cas, cette fin est très forte, une vraie claque, je n’ai rien vu venir. Préparez-vous à être remué !

L’intime conviction d’un père

Ce roman laisse un peu de côté l’accusé, Jacob. Je l’ai parfois regretté, j’aurais aimé que l’on aille un peu plus loin dans l’ébauche de sa psychologie, le comprendre un peu mieux. Mais adopter uniquement le point de vue du père est un parti pris de l’auteur, et il fonctionne. Ce n’est pas l’histoire d’un accusé, mais l’histoire d’un père face à l’accusation de son fils, mené par une foi inébranlable dans ce dernier.

Un père qui, de plus, maîtrise les rouages de la justice (tout comme l'auteur, qui a été procureur) et les met en lumière pour nous. C’est un aspect vraiment très intéressant du roman, qui nous fait réfléchir sur le fonctionnement du système judiciaire américain, dans lequel les enquêtes se font uniquement à charge, et où l’accusé n’a pas droit à la parole. On frissonne devant la faillibilité de ce système, quand on sait qu’un certain nombre d’Etats condamnent à mort (mais pas le Massachussetts dont il est question ici).

Les personnages

Le personnage d’Andy est au cœur du roman, il le porte sur ses épaules. C’est un personnage qui m’a été rapidement très sympathique, un cinquantenaire très attaché à sa famille. Par instinct paternel, il n’hésite pas à renier certains principes de son métier, à se mettre en danger. Quelqu’un qui fait des erreurs, mais qui les assume, un être humain. Il a aussi un côté sombre, portant un héritage familial qu’il n’assume pas, il lui fait pourtant face au nom de son fils.

Jacob reste extrêmement énigmatique à nos yeux. Il y a un très intéressant passage psychologique à son sujet, mais l’auteur n’ira pas plus loin, et le lecteur ne peut pas prétendre savoir qui est cet adolescent, tout comme ses propres parents n’y parviennent pas. Il reste à nos yeux fascinant et mystérieux, et jamais le doute ne sera levé à son sujet. Quant à Laurie, c’est une femme meurtrie, qui dépérit sous les yeux de son mari. Contrairement à ce dernier, elle est sujette au doute, qu’elle peine à surmonter. J’ai peiné à m’attacher à elle, contrairement à son mari.

L’écriture

L’écriture de l’auteur est agréable, il nous fait très facilement entrer dans la tête de son personnage. Il alterne les dialogues, les interrogatoires, les descriptions et les passages narratifs, dans un bon équilibre. Il maîtrise sa narration, manie le suspense, maintient la tension, et instille parfois une petite dose d’humour bienvenue. C’est un roman très dense, 445 pages dans une police plutôt petite, et pourtant, cela passe bien, les pages se tournent avec aisance.

En quelques mots…

Ainsi, j’ai beaucoup apprécié ce polar très prenant dont j’ai tourné les pages de plus en plus vite, j’ai eu du mal à le lâcher. J’ai été touchée par cette figure de père jusqu’au-boutiste, et j’ai apprécié cette plongée au cœur du système judiciaire américain. Je ne peux donc que vous conseiller ce titre, en espérant que vous l’apprécierez tout autant que moi !

Note : 4,5/5

Stellabloggeuse

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Ce roman fait partie des challenges :


Challenge ABC 2013 : 11/26


Challenge Où sont les hommes ? : lecture n°31

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« Jacob était visiblement affecté. Il avait les yeux humides et bordés de rouge. Son visage, rougi lui aussi, était barré d'une unique plaque pourpre en travers de chaque joue, comme une peinture de guerre. De toute évidence, notre fils était mort de peur. Pour autant, il s'efforçait de faire bonne figure. Ses gestes étaient empruntés, raides, mécaniques. Ils étaient ceux d'un jeune garçon s'essayant à la virilité, du moins vue par les yeux d'un adolescent. C'est, je pense, cet aspect-là qui m'a brisé le coeur, les efforts qui faisait pour ne pas flancher, pour contenir cette vague d'émotions - panique, colère, chagrin - à l'intérieur de lui-même. Il ne tiendra pas longtemps comme ça, me suis-je dit. »

« Dans tout système, l'élément humain est toujours source d'erreur. Pourquoi en irait-il autrement dans les cours de justice ? C'est la même chose. Notre confiance aveugle dans le système et le fruit de l'ignorance et de la pensée magique. Il était donc hors de question que je lui confie le sort de mon fils. Non parce que je le pensais coupable, je vous assure, mais justement parce qu'il était innocent. Je faisais le peu qui était en mon pouvoir pour obtenir un jugement équitable et juste. Si vous ne me croyez pas, allez passer quelques heures dans le tribunal pénal le plus proche de chez vous et demandez-vous si vous le croyez vraiment exempt de tout reproche. Demandez-vous si vous lui confieriez votre enfant... »